Psychanalyse et suivi éducatif |
Psychanalyse et suivi éducatif Claude Kessler (2009)
S'il y a une pratique qui semble incontournable dans la consultation psychologique des enfants c'est bien le suivi éducatif qui nous fait passer brutalement du domaine de la psychothérapie/psychanalyse à celui du soin psychologique version santé mentale. Un suivi éducatif peut être conçu de bien des manières. De plus en plus souvent il prend la forme d'un reconditionnement de l'enfant visant avant tout à le faire plier devant la volonté de l'adulte. Alors il est conseillé aux parents d'être plus sévères, de faire preuve de plus d'autorité. Et dans la foulée la psychanalyse est accusée d'être responsable d'une éducation trop laxiste menant à une désobéissance endémique. Allez ! une bonne raclée et tout va rentrer dans l'ordre. Oui c'est bien l'ordre que l'on soigne mais pas l'enfant ! Parfois le "thérapeute" intervient directement auprès de l'enfant en manipulant en lui angoisse et culpabilité ("si tu ne travailles pas à l'école tu finiras sous les ponts !", "on va le dire au père fouettard"), ou en le séduisant. La démarche psychanalytique se situe à l'inverse de ce type de formatage psychologique. Comment concevoir dans le cadre de l'éthique psychanalytique une pratique du suivi éducatif alliant écoute et conseil, quelque chose qui ne soit ni une psychothérapie ni une thérapie par reconditionnement ? La dérive des thérapies actuelles nécessite de réaffirmer l'incompatibilité du conseil éducatif, comme de toute intervention dans la réalité, avec une démarche psychothérapique laquelle suppose que soient respectés les principes de neutralité et d'abstention. Je suis toujours étonné de voir les "nouveaux psychologues" s'imaginer pouvoir tout faire, tout être pour l'autre. Alors ils commencent leur suivi par des tests, continuent par ce qu'ils s'imaginent être une psychothérapie, donnent des conseils, participent aux réunions d'école ou à d'autres où se décide l'avenir de l'enfant… Freud analysant sa fille Anna et Mélanie Klein son fils Eric ne sont pas forcément des exemples à suivre. Un minimum de sérieux supposerait que l'on choisisse ce que l'on se propose d'être pour son patient, qu'il soit enfant ou adulte. Vouloir tout être pour l'autre c'est non seulement nier ou transgresser symboliquement l'interdit de l'inceste, mais aussi créer un double lien qui piège le patient dans une dépendance qui n'en finit pas. La difficulté à se déterminer à être l'Un ou l'Autre est renforcée par les institutions soignantes qui privilégient les fonctionnaires polyvalents. L'expérience de la psychanalyse ne permet guère d'adhérer à l'idéologie dominante actuelle des institutions qui gravitent autour des enfants et qui est aussi celle de beaucoup de familles et de soignants, et qui est l'idéal d'un enfant performant et docile, de préférence souriant. Pareillement le psychanalyste ne peut qu'être méfiant face à la démarche de la santé mentale qui se préoccupe peu de la subjectivité de l'enfant, et qui mesure essentiellement sa déviance par rapport à une norme et met en place les instruments de sa normalisation. Le suivi éducatif est un soin psychologique en soi, il a ses avantages et ses inconvénients, et correspond à une réelle demande. Comment concevoir un suivi éducatif du côté de la psychanalyse ? Par exemple en proposant aux parents et aux enfants un espace de parole et d'écoute, mais dans lequel il n'est pas question d'interprétation. Les difficultés éducatives de l'enfant pourront ainsi prendre sens car elles sont de même nature que le symptôme : parole et satisfaction de désirs. Et la réponse, quand il y en aura une, sera de l'ordre du conseil éducatif, ce qui ne peut pas être le cas dans une cure psychothérapique. Dans l'idéal ce suivi éducatif devrait déboucher sur une psychanalyse de l'enfant, mais ailleurs avec quelqu'un d'autre. Encore faut-il que les parents le souhaitent et que l'enfant soit prêt à une telle démarche. Mais souvent, quand le problème qui a motivé la consultation est résolu, les parents sont satisfaits et arrêtent le suivi. Quand on accueille un enfant et ses parents, on ne sait pas d'emblée dans quelle direction va s'engager le suivi. Mais quand une incohérence éducative apparaît comme pouvant être la cause de difficultés, le suivi éducatif s'impose souvent de lui-même. Il vient comme réponse possible à ce que l'enfant et ses parents disent et donnent à voir. On est alors dans la logique d'apporter une solution à un problème, une réponse à une question, ce qui l'inverse d'une psychanalyse. Le conseiller se met dans la position de celui qui sait, et parfois il est mis dans celle d'un Autre surmoïque. Et c'est d'être dans cette position qui l'empêchera de mener une psychothérapie avec l'enfant, le transfert étant gelé dans un sens bien particulier. Mais comme le montre l'exemple d'Alice, le suivi éducatif psychanalytique est autre chose qu'un formatage psychologique. Il est une ouverture sur la subjectivité de l'enfant et son inconscient. Alice : entretien du 10 mai Alice, 4 ans, a décrété qu'elle n'irait plus à l'école et a obtenu gain de cause : elle est déscolarisée depuis 15 jours (elle n'y allait que le matin). Elle a souvent été absente de l'école durant l'année scolaire à cause des nombreuses maladies qu'elle y aurait attrapées. Et c'est ce qui est mis en avant par la mère : l'école comme lieu où l'on attrape des maladies, alors qu'avant sa fille n'aurait jamais été malade. De son côté Alice me répète que l'école c'est trop long, elle explique que sa mère lui manque trop. Par ailleurs, elle exige que sa mère dorme avec elle et celle-ci cède car elle ne supporte ni les pleurs ni les cris de colère de sa fille qui est la petite dernière, choyée et gâtée par ses parents et ses 2 frères adultes. Les parents ont divorcé puis se sont remis ensemble et Alice est née, elle n'était pas prévue au programme. Le père est absent toute la journée, il se lève tôt et rentre tard. La fillette attend le retour de son père pour lui faire un câlin et n'est couchée que vers 22 heures. Elle se réveille à 6 heures. Le père adore sa fille et elle le lui rend bien. Il la couvre de cadeaux et lui passe tous ses caprices. Selon la mère, il la soutient contre elle quand elle veut lui mettre des limites. Pendant l'entretien, la fillette s'adresse à sa mère sur un mode particulièrement autoritaire. Elle incarne merveilleusement l'enfant tyrannique. Elle m'explique d'ailleurs que papa et maman sont là pour lui obéir. Depuis qu'Alice ne va plus à l'école aucune sanction n'a été mise en place et l'enfant continue à recevoir des cadeaux. Les 2 parents sont bien incapables de dire "non" ou de punir leur fille. La mère dit prendre conscience de ce que leur attitude a d'incohérent, mais elle ne se sent pas capable de traîner sa fille de force à l'école comme on le lui a conseillé. Je lui déconseille cette violence. Il est convenu qu'Alice n'ait plus de cadeaux jusqu'à ce qu'elle retourne à l'école et que le soir elle aille au lit après avoir mangé, pas tant pour la punir que pour lui envoyer un message clair. J'aborde avec elle le sens que ça a d'aller à l'école et l'obligation scolaire comme une loi qui s'impose à tout le monde. Elle répond qu'elle n'ira plus jamais à l'école et que si sa mère la punit elle va la découper en morceaux. Alice me dessine un papa nu avec le corps couvert de poils. Elle me dit encore que quand on aime quelqu'un on est méchant avec lui. L'entretien prend la tournure d'un conseil éducatif car pour l'entourage il y a urgence et qu'il n'est pas possible de continuer à conforter Alice dans son comportement. Mes interventions dans la réalité font d'emblée l'impasse sur la problématique oedipienne et la question du désir de la mère dans l'angoisse de séparation. Alice : entretien du 17 mai Alice refuse toujours d'aller à l'école, bien que les parents aient suivi mes conseils : elle est privée de cadeaux et va directement au lit après le repas du soir. Elle répète à sa mère qu'elle ne sera plus sa mère si elle ne lui cède pas. J'apprends que quand la fillette ne va pas à l'école, elle passe la matinée devant la télé. Là encore je trouve que c'est la récompenser pour sa désobéissance et je demande à la mère de lui interdire de regarder la télé pendant les temps où elle est supposée aller à l'école, et de consacrer ces matinées à des cahiers d'activité de son âge. La mère me confie encore que dans sa tête elle se disait toujours qu'elle ne mettrait pas sa fille à l'école avant 6 ans "pour en profiter un maximum". Et qu'elle n'était pas de celles qui mettent leurs enfants à l'école pour s'en débarrasser. C'est là que je me demande si par son comportement Alice ne réalise pas le projet de sa mère de ne pas la mettre à l'école maternelle et si la mère n'a pas mis inconsciemment en place les conditions de la réalisation d'un projet auquel elle n'avait renoncé qu'en apparence. Alice me dit qu'elle veut rester un bébé, elle reproche à sa mère d'en vouloir un autre, mais dit qu'elle ne veut ni frère ni sœur, que ce sera elle le petit bébé. La mère se rappelle de lui avoir dit un jour qu'elle aimerait qu'elle redevienne un petit bébé. L'incohérence de l'attitude de la mère vient de ce qu'elle est partagée entre le désir de garder sa fille pour elle et son désir de l'ouvrir au monde en la scolarisant. D'où son injonction paradoxale. Alice : entretien du 4 juin Depuis notre dernier entretien Alice va à l'école sans problème. Elle a demandé à sa mère si elle allait suivre mes conseils, celle-ci lui a répondu que oui, alors elle a décidé d'aller à l'école. Un peu comme si, puisque sa mère m'obéissait, il ne lui restait plus qu'à faire de même. Elle me dessine un serpent qui mange une souris. Sa maman serait le serpent et papa la souris, elle serait la neige. Puis le serpent mange la neige. L'enfant répond non à tout ce que je lui dis, comme par automatisme. Je le lui souligne et elle me répond que sa mère dit "non" à son père. Celle-ci m'explique qu'il a toujours tendance à "craquer devant sa fille" et qu'elle le rappelle à l'ordre. La mère me raconte que sa fille attendait une carte postale de son père qui est parti pour une semaine. Comme elle n'en a pas reçu, elle l'a tapée. Mais en même temps, la nuit elle l'appelle et lui dit : "ma chérie vient à côté de moi". Et la mère cède une fois encore. Il lui reste difficile de faire de la peine à sa fille même si elle se rend compte de la confusion relationnelle qu'elle entretient. Mais elle prend de plus en plus conscience que le plaisir de sa fille n'est pas forcément son bien, même si nous sommes dans une société de biens de consommation. Alice : entretien du 16 juin C'est avec plaisir qu'Alice va à l'école. Elle en vient même à raconter ses journées à sa mère. A la maison elle se montre toujours très tyrannique, quand elle veut quelque chose elle exige d'être obéie immédiatement sinon elle pousse des hurlements stridents et la mère cède car le père, suite à une intervention chirurgicale, ne supporte pas les cris. La fillette se plaint à moi de ses parents, disant qu'ils crient et lui donnent des fessées. Quand ils la disputent elle les menace de m'en parler. Elle me raconte un rêve dans lequel un policier met des crayons en prison. Pendant l'entretien elle dit à sa mère d’une voix autoritaire : "Je suis la mère et toi l'enfant, et c'est pas un jeu". Je lui demande ce que le papa va dire de la situation et elle me répond qu'elle va le jeter dehors, qu'elle fera de même avec sa mère si elle l'embête. Le reste de l'entretien, elle sera sur les genoux de sa mère lui faisant un gros câlin. Elle redevient une petite fille de son âge. Ces comptes rendus d'entretiens montrent comment cette enfant est prise dans le discours et le désir de sa mère et comment son comportement évolue en fonction de l'attitude de celle-ci. A partir des dires de la mère on peut comprendre les liens qui unissent tous les protagonistes de cette histoire, la place qu'occupe l'enfant pour ses parents et ce qui fait d'eux, dans le fantasme de leur fille, les domestiques d'une reine tyrannique. Malgré l'évolution positive rien n'est résolu quant au problème de fond, on est vraiment dans les limites du conseil éducatif et si c'est sans doute une bonne chose que tout ce qui se dit se dise, on n'est pas là dans le cadre d'une psychothérapie. Quant à moi je suis figé dans le transfert de l'enfant comme étant cet autre donnant de "méchants" conseils et auquel on dénonce comme à la police. Aller plus loin serait pour Alice entreprendre une psychanalyse. Par psychanalyse j'entends la rencontre d'un psychanalyste, c'est-à-dire quelqu'un qui, parce qu'il a fait une analyse lui-même, a une expérience de l'inconscient et du transfert, mais aussi qui puisse offrir à l'enfant un espace de parole dans le respect des principes de neutralité et d'abstinence, bref quelqu'un qui ne passera pas son temps à faire faire des puzzles à l'enfant ou des jeux de société, pratiques dont il ne faut pas nier l'intérêt, mais dont l'utilité est ailleurs. Mais pourquoi l'efficacité, même limitée, de ce suivi familial ? Il est difficile de répondre avec certitude à cette question. Il y a évidemment une attitude éducative plus cohérente de la part des parents, puis tout ce qui a pu se dire autour de l'enfant, ainsi qu'un réaménagement relationnel avec des parents plus responsables, mais je pense que c'est avant tout parce que la mère puis le père ont accepté de se référer à la parole d'un Autre qui fait loi. La violence aurait pu faire plier Alice en lui amenant souffrances et peurs, renforçant le message : " va à l’école " au détriment de son inverse : "reste à la maison " dont le refoulement aurait été encore accentué. Ces interventions dans la réalité sont souvent des impasses du fait même de leur succès rapide. Les problèmes de l'enfant étant résolus, les parents ne voient pas l'intérêt de poursuivre le suivi et encore moins d'entreprendre une psychothérapie pour leur enfant, comme l'illustre l'exemple de 2 frères, Charles et Jean, rencontrés à 4 ans d'intervalle. Charles : entretien du 15 mai Je rencontre Charles, 2 ans et 3 mois, en urgence à la demande du médecin traitant de la famille qui vient de donner un arrêt de travail à une mère enceinte et épuisée par le comportement de son fils qualifié d'hyperactif. C'est la mère qui accompagne Charles. Elle me décrit un enfant qui depuis un mois ne trouve plus le sommeil et empêche les autres de dormir, ne mange plus, n'obéit plus, fait d'épouvantables colères… La mère conclut " on dirait qu'il fait le fou". La mère se dit enceinte depuis 3 mois et a annoncé "la bonne nouvelle" à son fils il y a un mois et demi. La séparation à 3 mois et demi pour l'entrée à la crèche s'était très mal passée : il ne cessait de pleurer et refusait de manger. Charles m'est présenté comme étant "le premier garçon de la famille" : la mère n'a que des sœurs et ses cousines n'ont que des filles. Elle s'attendait à avoir une fille. Les 2 parents se disent très heureux de la naissance du garçon. La mère a annoncé sa grossesse à son fils en lui disant : "Il y aura un bébé dans la famille". Je ne peux m'empêcher de commenter et de dire : " Un bébé mais 2 enfants". Pendant l'entretien Charles gribouille avec plaisir, se montre calme et souriant. Il finit par grimper sur mes genoux et, prenant 2 figurines de chien, les couche en disant "dodo". Il répète ce jeu plusieurs fois. Je lui dis qu'il n'a pas l'air content de la naissance de son petit frère, qu'il a sans doute peur qu'il lui prenne sa place et qu'il va être obligé de partager ses parents avec lui. Un commentaire on ne peut plus banal mais qui verbalise bien la situation de l'enfant. Charles : entretien du 25 mai Charles vient accompagné de ses 2 parents. Tout le monde a l'air détendu. L'enfant a retrouvé son sommeil et les parents sont reposés. Il ferait aussi moins de colères. Pendant l'entretien Charles cherche plus le contact avec son père qu'avec sa mère. La mère se décrit comme étant l'autorité dans la famille, elle trouve le père trop permissif. Elle n'achète à son fils que des jeux éducatifs : "Je veux savoir ce qu'il sait, dit-elle, voir son évolution." Charles quitte les genoux de son père, va se cacher dans un coin du bureau et appelle sa mère. Il veut jouer à cache-cache avec elle. Il essaie de grimper sur une chaise, sa mère s'y oppose, il le fait quand même. Il me désigne le ventre de sa mère et répète "bébé". La mère nous raconte qu'elle ne sait pas comment faire avec les garçons, ce qui explique peut-être que l'enfant trouve sa place sur les genoux d'un homme. Les parents ayant obtenu satisfaction, ils arrêtent le suivi. Je les rencontrerai de nouveau 4 ans plus tard après la naissance d'un troisième enfant. Cette fois-ci c'est Jean, qui était dans le ventre de sa mère lors du suivi de Charles, qui est en difficulté. Jean : entretien du 30 mai Je reçois Jean accompagné de sa mère et de son père qui porte le berceau contenant Lulu âgée de 10 jours. Je connais cette famille dans laquelle c'est plutôt le père qui joue le rôle maternant et la mère qui incarne l'autorité, ce dont ils ont bien conscience. Depuis le retour de la mère de la maternité, Jean ne mange plus, ne joue plus, ne parle plus et ne va plus à l'école. Quand la mère est rentrée le 23, l'enfant présentait une diarrhée avec des vomissements. Le Dr X a porté le diagnostic de gastro-entérite. Comme il continuait à vomir il a été examiné à l'hôpital de Y par le Dr Z qui a conclu à des crises d'acétone causées par le manque d'alimentation et nous l'a adressé. Jean va rester pendant tout l'entretien collé à sa mère. Il présente tous les signes d'un état dépressif grave. Il refuse tout ce que je lui propose. Ce n'est que quand je demande au père de poser le berceau et de prendre son fils sur ses genoux que celui-ci se remet à vivre. Le père me dit qu'il a toujours eu une relation très fusionnelle avec son fils : pas trop, précise-t-il, le genre de relation père-fils, mais plutôt père-fille. Il me dit que Jean ne sait pas à quoi sert un père, qu'il pense que le père est sorti du ventre de la mère. Une créature de la mère en quelque sorte. De son côté, la mère essaye de le rassurer en lui disant qu'il est toujours son « bébé ». Pas étonnant alors qu'il ne veuille plus marcher, mais être porté ou déplacé en poussette. Elle me dit qu'au retour de la maternité son fils a eu une nette attitude de rejet à son égard. Manifestement Jean n'a pas encore fait le deuil de la place qui était la sienne au sein de la famille et il montre avec violence qu'il en veut à ses parents de la venue de cette soeur. Un peu comme s'il disait : elle ou moi. Il réussit à inquiéter et à culpabiliser ses parents. Alors que j'évoque toutes ces questions il fait une crise de colère Jean : entretien du 5 juin La transformation de Jean est spectaculaire. Je vois un garçon souriant et relationnel. La mère me dit qu'il mange à nouveau, joue et va à l'école. La famille est rassurée. Jean refuse de me laisser son dessin. Comme j'insiste, il entame une réaction régressive qui me fait lui laisser emporter son oeuvre. Il reste un enfant fragile aux réactions excessives. Ce qui est remarquable dans ces deux observations, c'est la répétition du même problème d'un enfant à l'autre, un problème banal de jalousie, mais qui prend des proportions inhabituelles, et des symptômes qui disparaissent dans les 2 cas quand l'enfant retrouve l'amour de son père par une place sur ses genoux. On voit bien que si les interventions dans la réalité sont utiles voire indispensables par leur terrible efficacité, elles ne résolvent rien quant au fond car aucun questionnement n'est engagé tant au niveau familial qu'au niveau individuel, et les fils restent pris dans un Œdipe inversé qui répond à une inversion des rôles parentaux, mais sans doute est-ce le prix à payer pour que la famille ne se disloque pas. Peut-être plus inquiétant est ce père pensé par son fils comme étant un autre enfant de la mère ? Dans ces exemples les parents suivent les conseils que je leur donne. Mais il n'en va pas toujours ainsi. Il y a des parents qui souhaitent que le comportement de leur fils change mais sans vouloir ni s'impliquer ni modifier quoique ce soit à leur attitude. C'est le cas des parents de Marc, 7 ans, qui est un enfant instable et violent, refusant l'autorité des adultes. Les parents viennent consulter à la demande de l'école, sans conviction. La particularité de Marc quand l'adulte essaie de lui mettre des limites est soit de faire semblant de ne pas entendre, soit de se mettre à discuter pour prouver qu'il a raison et l'adulte tort, et dans ce cas il essaie toujours d'avoir le dernier mot. De son côté, le père ne dit jamais à son fils "non c'est interdit"ou "non je te l'interdis", mais : "réfléchis, est-ce que c'est bien ce que tu fais ? Est-ce que tu penses avoir raison de faire ce que tu fais ?" Et bien sûr l'enfant argumente que oui, qu'il a raison de faire ce qu'il fait. Donc un père qui ne renvoie pas son fils à la loi ou à son autorité, mais à la raison, en l'occurrence la raison d'un enfant de 7 ans. Ce père m'explique qu'il a eu un père très autoritaire et qu'il a décidé de ne pas élever ses enfants comme lui-même l'a été, donc le choix d'être plus pédagogue que père. Cette position, même si je n'y adhère pas, je ne peux que la respecter. Le suivi de Marc ne s'est pas arrêté là, il y a eu quelques entretiens en présence des parents où ceux-ci ont été plus spectateurs que partie prenante, l'enfant se mettant en scène et se donnant à voir dans une sollicitation permanente de l'attention de l'Autre. Ce garçon a beaucoup souffert à l'âge de 2 ans de la naissance d'une sœur gravement malade et qui de ce fait a monopolisé l'attention des parents. Il a été plusieurs fois séparé de sa mère à l'occasion d'hospitalisations de celle-ci avec le bébé. A 4 ans la mère a eu une grave maladie articulatoire qui ne lui permettait plus de tenir ses enfants dans ses bras, d'ailleurs dans les dessins c'est toujours le père qui porte les enfants. L'angoisse d'abandon est omniprésente dans les jeux et les dessins, ainsi que la rancune à l'égard de la petite sœur. A mesure que Marc trouve un endroit où s'exprimer, son comportement s'améliore, s'assouplit. Mais son rapport à l'autorité et à la loi reste problématique. Au milieu d'un entretien, il s'adresse à son père et lui crie "au pied", comme à un chien. Sa solution pour contourner l'interdit de l'inceste est que le père ait plusieurs femmes et lui en laisse une. C'est parce que l'efficacité du conseil éducatif est comparable à celle de médicaments comme le risperdal ou la ritaline : apporter, quand ça marche, une solution concrète à un problème et masquer les vraies questions, qu'il devrait nécessairement ouvrir sur une psychothérapie. Dans les illustrations que j'ai présentées, on voit bien que l'enfant est doublement engagé dans sa problématique : d'abord en tant qu'il est pris dans une relation réelle, imaginaire et symbolique avec ses parents, puis en tant que sujet de ses symptômes. Le conseil éducatif ne s'adresse pas à l'enfant, mais aux parents. C'est donc une pratique tout à fait différente d'un travail éducatif avec l'enfant tel que le font les thérapeutes-rééducateurs. Rééduquer l'enfant désigné comme déviant ou déficient tient une place importante dans les soins psychologiques destinés aux enfants, le thérapeute s'y substitue aux parents pour faire mieux qu'eux ou compléter leur action. A l'inverse, dans le cadre du conseil, il est impératif de ne pas se substituer aux parents, de ne pas avoir une attitude éducative à l'égard de l'enfant, il est indispensable de se maintenir dans une position d'asymétrie et de donner la parole à l'enfant, d'être à l'écoute de ce qu'il dit parce qu'il n'y a pas de problème purement éducatif, qui trouverait sa cause uniquement dans une attitude éducative parentale inappropriée. Mais que faire quand l'enfant souffre d'un problème éducatif et que les parents refusent de changer quoi que ce soit à leur attitude ? Souvent ils considèrent que le problème est celui de leur enfant et ils refusent de se sentir concernés. Suivre un conseil éducatif c'est accepter de se reconnaître comme pouvant être défaillant en tant que parent, ce qui n'est pas donné à tout le monde. Madame Germaine a 2 enfants en Institut Médico Educatif, son fils aîné a été placé en foyer par le Juge après qu'il ait porté plainte contre ses parents pour maltraitance, pourtant elle n'accepte absolument pas l'idée que les problèmes de comportement de sa fille Gilberte, sept ans, puissent avoir un quelconque lien avec une attitude parentale inappropriée. Elle répète sur sa fille l'attitude qu'elle a eue à l'égard de ses trois garçons : s'assurer une maîtrise totale sur eux en les rendant débiles, et les entretenir dans une position de toute-puissance à l'égard de tout autre qu'elle-même : il n'y a qu'elle qui a le droit d'exiger quelque chose d'eux ou de leur mettre des limites. Alors que je propose à Gilberte de me faire un dessin, celle-ci commence un exercice d'écriture. Je lui explique que nous ne sommes pas à l'école, et que je comprends son souhait de me montrer qu'elle sait écrire, mais que je préfèrerais qu'elle me dessine quelque chose parce que souvent les enfants de son âge s'expriment plus facilement à travers un dessin. La mère m'interrompt brutalement en disant que sa fille a bien le droit d'écrire si elle le veut, et elle l'encourage à continuer à écrire. Mettre une limite à sa fille est vécu par cette mère comme une atteinte à sa propre toute-puissance, elle protège sa fille de tout ce qui pourrait remettre en cause leur fantasme de complétude narcissique. En même temps, elle s'assure une domination sans partage sur elle. C'est d'ailleurs ce qui va se révéler être le motif réel de sa consultation : obtenir un document pour faire officialiser par le Juge des Affaires familiales l'exclusion du père dans un conflit autour du droit de garde. La conception psychanalytique du conseil éducatif empêche d'en faire une simple normalisation de l'attitude des parents, pour leur restituer, ainsi qu'à l'enfant, une place de sujets désirants pris dans une histoire, des fantasmes et des désirs. Ce qui évite une conception mécaniste et comportementaliste qui ferait des difficultés de l'enfant un simple trouble réactionnel. Tout enfant est façonné par la psychopathologie de ses parents, par la place qu'il occupe ou n'occupe pas dans leurs désirs et fantasmes. La relation à l'Autre est toujours déjà intériorisée ou alors elle ne l'est jamais, encore qu'une telle intériorisation peut être l'effet d'une psychanalyse. Du côté des parents, les "aberrations" éducatives ne sont pas de simples erreurs, elles prennent sens par la place qu'elles tiennent dans leur économie psychique. Je pense à la mère qui en l'absence du père accepte la présence de son fils de onze ans dans son lit et qui manifestement a besoin de cette présence, à cette autre mère qui sourit quand son fils de sept ans me donne un méchant coup de pied à la sortie du bureau, ou encore cette mère qui ne cesse de répéter à son fils qu'il n'a pas de père, uniquement un géniteur etc. L'erreur éducative est alors la marque d'un enfant pris dans l'économie libidinale de sa mère, et c'est la jouissance maternelle qui fléchit, perturbe la relation plutôt que l'ignorance. Le suivi familial pourrait être le lieu où les parents vont prendre conscience des nouages pathologiques qui se sont mis en place entre eux et leur enfant. C'est précisément contre ce questionnement de la jouissance partagée que semblent se construire les techniques actuelles de soins psychologiques aux enfants. Il est plus facile pour la société contemporaine et ses soignants de se référer à un savoir éducatif défaillant qu'à une implication désirante s'exprimant sous le masque d'une incohérence éducative. Alors que penser de ces spécialistes de l'éducation qui prescrivent une bonne raclée à l'enfant ? Effectivement il est toujours éventuellement possible de soumettre un enfant en le cassant. C'est d'ailleurs ce qui se fait couramment, avec une étrange légèreté. Je pense à l'indignation de tous ces braves gens parce qu'un instituteur a été condamné par la justice à une amende pour avoir menacé de couper le zizi qu'un élève avait l'habitude d'exhiber. Cet enseignant a même eu droit à un comité de soutien. On est loin d'un instituteur comme Zulliger et de sa pédagogie psychanalytique. Réprimer un comportement chez l'enfant en le soumettant par la violence ou en manipulant ses peurs, ou encore en le séduisant, évite à l'adulte de se poser des questions sur lui-même et sur ce qui le motive. L'idée trop souvent répandue, même chez les thérapeutes pour enfants, est que l'enfant doit obéir quelles que soient ses raisons de désobéir. Peut-être, encore que je suis loin d'en être convaincu, mais ça ne devrait pas empêcher de s'interroger sur le sens de la désobéissance et d'essayer de résoudre le conflit sans avoir recours à la violence. La punition ne devrait pas être utilisée pour faire mal à l'enfant, mais simplement être un support concret envoyant un message clair à l'enfant comme peut l'être la récompense. Montrer à un enfant qu'on n'est pas content de lui est déjà une punition en soi, et souvent une punition simple comme le priver de télévision, de jeu vidéo ou l'envoyer au lit après le repas est largement suffisant, il n'est pas nécessaire de recourir à la fessée. Mais là aussi les parents envoient souvent des messages contradictoires à l'enfant : l'enfant mis au lit aura le droit de regarder la télévision ou de jouer avec son jeu vidéo préféré. L'enfant est étroitement dépendant de l'économie psychique de ses parents et c'est eux qui vont lui permettre d'évoluer ou le lui interdire. Ils peuvent, comme la mère d'Antoine, mettre en échec leur propre demande de soin ou d'aide, car rien ne doit changer dans la place qu'occupe l'enfant dans l'équilibre pathologique de la famille. Antoine : entretien du 4 juin Antoine, cinq ans, vient accompagné par son père pour un rituel de lavage qui lui a abîmé les mains malgré toutes les crèmes que les parents lui ont mises. L'enfant m'explique qu'il a peur des microbes et qu'il craint d'attraper des maladies. Les symptômes se seraient aggravés ces deux dernières semaines. Le père me raconte que mettre son fils à la crèche à quatre mois et demi a été dramatique pour la mère. En plus, l'enfant a attrapé beaucoup de maladies infectieuses à cette époque et la crèche est présentée dans l'histoire familiale comme le lieu où l'on tombe malade. Les maladies de son fils ont rappelé à la mère sa propre enfance où elle a souvent été malade à cause d'incessantes allergies. De fait, la mère fait la chasse à la poussière et aux acariens, elle est décrite comme "une obsédée du ménage". Antoine a été élevé dans cette phobie des maladies contagieuses et les préoccupations hygiénistes. Il est d'ailleurs bien documenté sur le sujet. Le père me dit encore que son fils qui était un enfant docile se montre plus difficile et qu'il a besoin de faire preuve de plus d'autorité, en particulier il se montre violent avec les autres enfants et sa sœur; à l'école l'institutrice parle de problèmes de comportement. La relation avec son propre père ayant été difficile, il a peur de casser les liens entre lui et son fils, et de perdre sa confiance. Alors quand il est obligé de le punir et quand l'enfant boude, c'est lui qui va vers lui pour renouer le dialogue. Antoine me parle de cauchemars dans lesquels il se fait dévorer. Il me dessine des monstres et un bonhomme en train d'être électrocuté par la foudre (son père travaille à EDF). Il me dit que l'homme est son père et que lui se voit plutôt être un monstre qui fait peur. Il n'est pas facile pour lui d'affronter ce fantasme de mort pour un père en demande d'amour. Antoine : entretien du 17 juin Antoine se laverait moins souvent les mains depuis notre dernier entretien. Le père me raconte que son fils fait souvent mal aux autres en jouant, mais sans avoir conscience de faire mal. L'enfant me dit qu'il veut être un pirate, qu'il aime embêter les autres enfants. Dans son jeu, il est l'animal qui dévore les autres animaux. Son père me raconte que son fils aimait écraser les insectes, mais qu'il lui a appris à les respecter. Manifestement Antoine n'ose pas trop parler de lui de peur de ternir l'image qu'a de lui son père. Le père pense que son fils oublie qu'il joue à être le méchant pirate et que c'est à ce moment-là qu'il agresse réellement les autres, comme s'il confondait imagination et réalité. Mais en fait l'enfant sait très bien ce qu'il fait, il s'agit là de l'excuse qu'il fournit à ses parents, encore que le fait de se déguiser doit l'autoriser à exprimer plus facilement ses pulsions sadiques . Antoine : entretien du 29 juin Antoine est amené par sa mère. L'ambiance est lourde. Dès que l'enfant essaye de s'exprimer, sa mère intervient pour minimiser ses propos afin de préserver son image d'enfant idéal. A propos de l'agression d'un autre enfant que sa mère met sur le compte d'une maladresse, il me dit : "J'ai une petite idée pour faire mal aux autres". Mais sa mère l'interrompt, me disant que pour elle ces entretiens n'ont plus de raison d'être puisque le rituel de lavage des mains a disparu. L'enfant me parle encore d'un cauchemar dans lequel des têtes de mort se promènent dans sa chambre, il me dit qu'il s'est levé plusieurs fois la nuit pour aller rejoindre ses parents tellement il avait peur. La mère intervient pour dire que ce n'est arrivé qu'une fois, que ce n'est pas grave, que tout va bien. L'enfant finit par faire sienne la résistance de sa mère et se cache sous la table. J'ai rarement vu un parent faire tant d'efforts pour empêcher son enfant de parler ou pour enlever tout sens à ce qu'il pouvait dire. J'ai bien essayé de proposer à Antoine de rester seul avec moi, mais il a rejeté mon offre. J'ai parlé à la mère de l'angoisse et de la culpabilité de son fils, mais elle n'a rien voulu entendre. Quant à l'agressivité de l'enfant elle est complètement déniée, il s'agit d'ailleurs plus de jouissance sadique que d'agressivité, l'enfant a essayé d'en parler mais sa mère l'a fait taire. Cette mère a eu ce qu'elle voulait : que le symptôme apparent le plus gênant de la névrose de son fils disparaisse. Mais sur le fond elle n'est pas mécontente que son enfant lui ressemble; dans cette relation en miroir elle dénie en lui ce qu'elle refoule en elle. Mais il ne faut pas être naïf, d'autres symptômes vont se constituer. Il a été profitable à l'enfant de mettre en scène la mort du père et de parler de son plaisir à faire mal aux autres car c'est sans doute là une des causes de la culpabilité qui s'exprime à travers son rituel. J'ai essayé d'évoquer avec la mère la tension qui s'était installée entre moi qui donnais la parole à son fils et elle qui voulait le faire taire. Sa réponse a été : "On est venus pour un problème précis, c'est réglé, c'est bon". Evidemment l'élément le plus pathogène dans cette famille est la mère : en présence de son père Antoine faisait des dessins colorés couvrant toute la feuille de papier, en présence de sa mère il fait un minuscule dessin au stylo noir : lui et sa soeur en train de regarder la télévision. Parfois la consultation n'évolue pas en un suivi éducatif et prend plutôt l'allure d'une psychanalyse. Cela a été le cas avec Sylvie, six ans, que les parents ont amenée en consultation pour une instabilité psychomotrice avec un échec scolaire et un rejet manifeste de l'autorité des adultes. Il n'était pas question pour ces parents, qui sont des professionnels de l'éducation des enfants, que leur fille prenne de la ritaline. Sylvie : entretien du 25 mars Les parents pensent que leur divorce, il y a un an, a beaucoup perturbé leur fille. Pourtant ils ont tout fait pour que la séparation se passe sans trop de dommages pour leurs trois enfants : leur fils Hubert, huit ans, Sylvie et sa sœur jumelle Anaïs. Cette dernière occupe un peu la place de l'enfant idéal alors que Sylvie serait le vilain petit canard. Pendant l'entretien la fillette se montre très instable, mais elle se calme quand elle réussit à tenir les mains de ses deux parents. L'accent est mis par ces derniers sur les refus d'obéissance de leur fille et le non-respect des règles en usage avec une forte composante de provocation et d'insolence. Sylvie me dit qu'elle se trouve bête et qu'on ferait mieux de la mettre à la poubelle, qu'elle aimerait avoir deux ans pour être encore en maternelle. Elle me parle d'un rêve dans lequel elle a vu son frère mort. Elle lui reproche de la rejeter et de s'être ligué avec sa sœur contre elle (un peu comme si elle avait déplacé son Œdipe sur eux). A un moment donné de l'entretien elle veut récupérer l'alliance au doigt de son père en disant qu'elle voulait l'épouser. Le père soupire : "il faut venir ici pour entendre ça". La fillette me dessine sa mère en train de faire caca. Elle reste enfermée dans les toilettes, elle est punie parce qu'elle a tué le papa. C'est la mère qui a demandé le divorce et la séparation a été douloureuse pour le père. Manifestement cette enfant a des comptes à régler. Sylvie : entretien du 6 avril Sylvie vient amenée par sa mère qui ne dit pas grand-chose. Elle dessine sa maîtresse avec un bras arraché et m'explique que "quand on n'est pas content de sa maîtresse on lui arrache le bras". Ce dont il est question ici c'est de castrer la mère phallique incarnée dans l'image de la "maîtresse". On comprend mieux que cette enfant ait des problèmes à l'école. Avec la pâte à modeler elle me fait sa mère jeune faisant le grand écart. Celle-ci me dit qu'étant enfant elle avait un grave problème de hanches et qu'elle n'aurait jamais pu faire le grand écart (quel écart a fait la mère ?). Sylvie met un "zizi géant" à son bonhomme et dit que c'est sa mère. Puis elle le désigne comme étant son père, mais au passage le bonhomme a perdu ses bras. Avec les jouets elle invente l'histoire d'un fantôme qui attaque la princesse, un chevalier vient la défendre et le fantôme est tué par la fée. Sylvie : entretien du 20 avril Sylvie veut me parler en dehors de la présence de sa mère. Elle me parle de Lisa, une de ses copines, et me dit qu'elle est sa sœur, qu'elle aimerait lui ressembler car elle est belle et qu'elle est moche. Avec la pâte à modeler, elle fait un bonhomme auquel elle ajoute un zizi, elle me dit que c'est sa sœur Anaïs qui s'est transformée en garçon. Puis elle me fait un bonhomme qui perd son zizi et qui a un trou à la place, c'est elle, Sylvie. Sa désobéissance prend le sens d'une révolte : elle en veut à la terre entière de ne pas avoir de pénis. Sylvie : entretien du 28 avril La mère a rencontré l'institutrice qui dit Sylvie "plus posée", mais elle trouve que l'enfant écrit mal. Elle a conseillé une rééducation graphique et orthophonique. La fillette me dessine un sapin, sa sœur tombe de l'arbre et se casse les os. Son frère est tué par la chute d'une météorite. Elle dit se sentir rejetée par son frère et sa sœur. Pendant l'entretien elle fait toutes sortes de bêtises pour attirer notre attention. Ce qu'elle reconnaît volontiers. Sylvie : entretien du 6 mai Je trouve Sylvie seule dans la salle d'attente. Ses parents sont partis ensemble faire des courses. Elle me dit qu'elle ne comprend que ses parents fassent les courses ensemble alors qu'ils sont séparés. Et elle commente : "Quand maman a besoin d'un chauffeur elle appelle papa". Effectivement il fait un peu serviteur de madame. Elle me dessine deux filles qui jouent, elles n'ont pas de bras, son frère les a coupés. Elle se dit triste de la séparation de ses parents "car elle ne pourra plus avoir de petite sœur"; "elle sera toujours la dernière et ce n'est pas bien", précise-t-elle. Sylvie : entretien du 20 mai Sylvie se plaint des absences trop fréquentes de son père qui la laisse pour aller s'occuper d'autres enfants. Elle me dessine ses parents, son frère, sa sœur et elle qui sont au ciel. Elle descend sur terre pour cueillir des fleurs pour sa mère. C'est sa maîtresse qui les a tués. Dans un deuxième dessin, elle représente un frère entouré de ses 2 sœurs. Le frère n'en aime qu'une. Le garçon et une des filles n'ont pas de mains. Elle m'explique qu'on leur a coupé les mains parce qu'ils voulaient se marier. Voilà une bonne raison pour avoir des problèmes de graphisme. Dans les entretiens suivants les mêmes thèmes reviennent : la question de l'identité sexuelle, le fantasme de castration, le désir de "faire pipi debout comme les garçons", etc. Puis il y a eu cette définition du métier de son père : "il s'occupe des enfants dont les parents ne veulent plus." Et elle qui se sent toujours rejetée, faut-il qu'elle soit abandonnée pour que son père s'occupe d'elle ? Sylvie me dessine sa maîtresse qui la regarde avec un grand sourire et qui est contente d'elle. Ce regard de la mère qu'elle cherche tant ! Une mère qui me dit que sa fille veut venir seule dans mon bureau alors que celle-ci lui demande de l'accompagner, une mère qui refuse que sa fille s'asseye sur ses genoux en lui disant qu'elle a une chaise pour s'asseoir. Et cette enfant qui dessine sa soeur les seins et le sexe coupés… Je ne doute pas que cette fillette de six ans finisse par évoluer positivement résolvant son problème d'échec scolaire et ses relations difficiles avec l'autorité, en tout cas elle est bien partie pour ça. Elle a aussi la chance d'avoir des parents qui ne se contentent pas d'un abrasage de la psyché de leur enfant, ce qui leur permettrait de continuer sans se poser trop de questions. C'est ce que demande la majorité des parents, que les symptômes gênants de leurs enfants soient enfouis pour qu'ils puissent continuer leur mode de fonctionnement pathologique en toute inconscience. Cette illustration d'un début de psychanalyse est là comme contre-modèle du suivi éducatif et des rééducations. Ce que propose l'école, c'est un complément sous forme d'orthophonie et de psychomotricité, s'ajoutant au soutien scolaire et à l'aide apportée par le Rased. L'idéologie est celle du manque à combler et peu importe si l'enfant n'a pas faim. Ainsi souvent les enfants qui n'aiment pas l'école se retrouvent avec davantage de temps scolaire, de quoi les dégoûter encore un peu plus. Une démarche psychothérapique qui s'adresse directement à l'enfant et non à ses parents se comprend du fait qu'il n'y a pas une attitude parentale dont la correction pourrait servir d'élément moteur pour introduire un changement, mais plutôt une psychopathologie familiale (mère phallique, père castré) à laquelle répond la psychopathologie de l'enfant. Les difficultés scolaires de Sylvie viennent de ce qu'elle ait besoin de la présence de l'adulte pour travailler : elle s'investit dans les apprentissages dans le cadre d'une prise en charge individuelle, mais non en groupe. C'est ce qu'on appelle ne pas être autonome dans le travail. Elle travaille dans le transfert, par amour, ce qu'elle dit c'est "si tu veux que je travaille aime-moi, occupe-toi de moi". Et si elle est une enfant "instable" ce n'est pas à cause d'un dysfonctionnement cérébral minime, mais d'une angoisse qu'elle "soigne" par une agitation auto-érotique. Les questions qu'elle pose tournent autour de la symbolisation du manque, le sien et celui de l'Autre, dans une tentative pour lui donner sens. L'échec scolaire entre en résonance avec celui à être l'enfant idéal, place occupée par la sœur jumelle, et avec l'échec à avoir un pénis. Une issue régressive est entrevue sous la forme du bébé asexué. A l'école, qui lui dit qu'elle est défaillante en lecture, écriture, calcul et maîtrise corporelle, la fillette de six ans répond : "j'ai pas de zizi". C'est quand le phallus devient symbolique, quand il devient amovible et se met à circuler, que cette enfant peut s'autoriser à montrer qu'elle sait. Elle ne se pense plus exclue du savoir comme elle est exclue de la possession du phallus. Va-t-elle pouvoir s'aimer même sans pénis ? Elle dessine un garçon qu'elle transforme en fille et qu'elle nomme un garçon-fille, puis une fille en disant : " je me commande et maman se commande". Lors de l'entretien familial précédant les vacances scolaires Sylvie prend un livre et nous montre qu'elle sait lire. Là elle nous bluffe, ses parents et moi.
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