Les camiontrottoirs de Lunéville |
Les camiontrottoirs de Lunéville
Claude Kessler avril 2023
Le texte qui suit reprend plusieurs publications faites sur une page "Lunéville" de Facebook dont le but était de faire connaître les difficultés auxquelles devaient faire face les habitants du haut de la place Saint-Jacques, mais elles étaient aussi un appel à des autorités locales, sourdes et aveugles, dans l'espoir qu'elles finissent par assumer le rôle qui leur est dévolu par la loi en matière de sécurité. Que ces mêmes autorités veuillent actuellement semer le doute sur la réalité de faits que nous avons subis pendant plusieurs années, impose d'en témoigner une fois encore. L'histoire des camiontrottoirs nous parle d'une réalité sociétale qui n'est en rien exceptionnelle. On pourrait même dire qu'elle constitue le quotidien de nombreux Français qui ont à pâtir de ces petits arrangements locaux, souvent en marge de la loi, associant, à des intérêts privés, voyous, notables et représentants de l'État. Ce n'est là que la banalité de la logique darwinienne qui se profile derrière les discours parlant de démocratie et d'État de droit : des voyous qui, après s'être approprié le pouvoir sur la population, se mettent à réorganiser l'espace urbain en vue de leurs seuls intérêts, et ce, sous le regard indifférent des autorités légales. Cette aventure nous aura aussi montré le rôle important du Défenseur des droits, institution qui semble être le dernier rempart contre ce que, faute de mieux, on peut qualifier de fonctionnement sociétal, mafieux ou pervers, selon que l'on adopte une perspective sociologique ou psychologique. Le recours à une autorité constitutionnelle, pour rappeler à la municipalité ses devoirs, était devenu nécessaire pour contrer des autorités locales qui avaient fait le choix de persévérer dans leur désaveu de la loi, pour devenir les spectatrices de sa transgression, donnant ainsi un semblant de légalité et un encouragement à des agissements représentant un réel danger pour la population. La règle est universelle, et ne date pas d'aujourd'hui : les véhicules roulent sur la chaussée et les piétons marchent sur les trottoirs. Partant de là, on peut se demander comment, pendant plusieurs années, et de façon habituelle, une portion de trottoir sur une rue jouxtant la mairie, la rue de la Place Saint-Jacques, a pu être transformée en chausséetrottoir pour des camions de livraison amenant, vers le bistrot de la rue, nommé le Petit Trianon, les colis générés par les achats des habitants sur internet, tout en sachant qu'en face de ce même point de livraison se trouvent deux places de parking prévues à cet effet. Le plus intéressant dans cette affaire est peut-être que la mairie de Lunéville en soit venue à nier sa connaissance des faits, et même à mettre en doute leur possibilité matérielle, face à la Défenseure des droits saisie suite à l'inertie des autorités municipales et préfectorales, pourtant informées de la situation. Une telle attitude à l'égard d'une autorité constitutionnelle, pour des faits connus d'une grande partie de la population locale et évoqués dans plusieurs courriers, ne fait que confirmer le mépris de certains les élus, non seulement pour leurs électeurs, mais aussi pour les institutions de la République. Comment les habitués d'un bistrot peuvent-ils imposer aux riverains la transformation de leur trottoir en piste pour camionnettes ? La réponse est simple : par l'intimidation, les menaces et la violence. Quant à savoir pour qui ils "travaillent", la réponse est assez évidente. Mais c'est d'abord l'attitude des autorités officielles face à cette situation qui interpelle. Heureusement, nous ne sommes pas encore dans un pays où l'État envoie sa police pour contraindre le peuple à accepter la transgression de ses propres lois. Cela n'est d'ailleurs pas nécessaire, les gangs de quartier s'en chargent. On saisit le paradoxe : d'un côté, nous avons les autorités officielles dont c'est la mission de faire respecter les règles du Code de la route, et de l'autre un gang de quartier qui impose, en toute impunité, leur transgression. Cela ne serait sans doute pas très grave, si l'enjeu n'était pas la sécurité des piétons et des riverains, mis en danger, tantôt quand ils empruntent la voie supposée leur être réservée, tantôt quand ils sont obligés de se précipiter sur la chaussée pour éviter les camions s'avançant sur eux en marche arrière. Mon opposition - tardive - aux camiontrottoirs de la rue Saint-Jacques m'a confronté à une réalité que je pensais être d'une autre époque : le soutien mutuel que peuvent s'apporter les deux extrêmes de l'échelle sociale dans leur mépris pour la loi et la vie, celle des autres évidemment. Une sorte de version dégénérée de la connivence occasionnelle rapportée par Marx entre bourgeoisie et "Lumpenprolétariat". Car, à l'évidence, si des voyous en sont venus à détourner ces camionnettes de livraison, ce n'est pas à leur seul profit. Et que les autorités officielles les laissent faire pendant des années n'est pas anodin non plus. On touche là aux réseaux relationnels de la ville et aux abus de pouvoir d'une certaine caste. Cette histoire lamentable s'est terminée, du moins provisoirement, après l'intervention de la Défenseure des droits qui a demandé à la mairie qu'elle mette fin à la valse des camiontrottoirs. L'attitude des autorités locales, qui a rendu nécessaire l'appel à la Défenseure des droits, s'inscrit dans le déni du malaise social d'une ville de plus en plus désertée par sa population traditionnelle. La falsification de la réalité permet, malgré une ambiance particulièrement délétère, de présenter Lunéville, dans un journal régional, comme étant "Un havre de paix au milieu d'un poumon vert", et de vanter la gratuité des places de parking dans l'espoir d'attirer une clientèle pour les commerces locaux.
L'utilisation habituelle du trottoir par les camionnettes de livraison pour remonter en marche arrière la rue Saint Jacques, qui est un sens interdit, a duré quelques années. Cette activité s'est intensifiée en même temps que se sont développés les achats par internet. Si mes souvenirs sont exacts, cela a commencé en 2018. À l'heure actuelle, début 2023, rien de concret n'a été fait pour empêcher cette "originalité" locale, alors même qu'un poteau télescopique en début de trottoir aurait pu résoudre le problème. Seule, donc, l'intervention de la Défenseure des droits a mis un terme à cette situation. Mais pour combien de temps ! Autre effet bénéfique de cette intervention : les voyous alcoolisés à vocation de gang qui contrôlent la rue se font plus discrets. Encore, qu'on puisse les entendre crier et chanter longtemps après le coucher du soleil sous les invectives des riverains qui aimeraient dormir. Le rôle joué par les autorités officielles dans cette "singularité" locale, confirme la facilité avec laquelle les lois peuvent être détournées. Il est difficile de trancher entre laxisme et connivence quand des situations illégales se prolongent durant des années. Il y a un moment où le laisser faire est perçu comme une autorisation, voire une invitation à la transgression, pour des individus, imprégnés ou non, qui se glorifient d'être au-dessus de la loi, sans se préoccuper des risques que leurs arrangements font courir à des habitants paralysés par la peur. Pourtant, je ne me suis pas inquiété outre mesure du manège des camiontrottoirs jusqu'en 2021, époque à laquelle j'ai été frôlé d'un peu trop près par l'un d'eux arrivant sur moi en marche arrière alors que je lui tournais le dos. Certains Lunévillois diraient sûrement que je n'avais qu'à faire attention. Ils n'auraient pas tort parce que, dans le centre-ville, il faut se montrer vigilant, même sur un trottoir. Globalement, l'ambiance de cette ville est peu épanouissante, pour ne pas dire délétère, et les incivilités y sont nombreuses, non par vice, mais par indifférence aux autres, comme ces automobilistes qui stationnent leur voiture sur les trottoirs sans se préoccuper des problèmes que cela est susceptible de poser à des handicapés ou à des mères avec leurs poussettes. Une partie importante de la population vit dans une semi-misère et l'autre ne fait pas preuve de beaucoup de délicatesse. Parfois, on a l'impression, en arrivant à Lunéville, d'avoir fait un voyage dans le temps et de se retrouver en plein Moyen Âge, surtout quand on voit un individu uriner contre la porte d'entrée d'un immeuble. Nombreux sont ceux qui ne semblent exister qu'en mode survie, mais sans en nourrir leur haine. Un tel contexte fait le jeu des voyous de quartier. Rue de la Place Saint-Jacques, la violence alcoolisée, le harcèlement, l'intimidation, etc. ont fait longtemps partie du quotidien. L'ivresse sur la voie publique est tolérée, ou plutôt ignorée, de même que les "pédé, va te faire enculer", "pute", "on va te défoncer le crâne", etc. Les agressions et les vols à l'arraché ne sont pas rares non plus. Des plaintes sont déposées, mais ce qu'elles deviennent reste un mystère. L'impunité favorise évidemment la multiplication des comportements antisociaux (le comportement de nombreux automobilistes est, de ce point de vue, riche d'enseignements). Ce n'est pas que cette population "très spéciale" ignore les normes sociales et morales, mais elles ne font pas sens pour eux. Et cela n'est pas forcément dû à leur état d'ébriété. Ils tirent tous les bénéfices possibles d'une conscience morale émoussée : le bien se réduit alors à ce qui leur fait du bien, alors que tout ce qui les éloigne de leur satisfaction hédoniste incarne, à leurs yeux, le mal. Mais ce n'est pas pour autant qu'ils sont heureux : c'est même tout le contraire, et leurs addictions ne cessent de nous en apporter la preuve. C'est l'alcool qui fait lien entre les voyous de la place Saint-Jacques, et le fait que le spectacle soit dans la rue, et là, on est loin du cinéma muet, rend forcément la situation difficile pour les riverains et les passants. Cela n'a pas grand-chose à voir avec un groupe d'amis qui se retrouverait pour faire la fête ou déguster un bon verre de vin. Certaines des personnes dont je parle vivent quasiment sous perfusion d'alcool 24 heures sur 24. Donc, pour ces individus à la conscience défaillante, la différence entre le bien et le mal est largement inopérante. Elle a été remplacée par celle entre verre vide et verre plein. C'est bien pourquoi, faire rouler des camionnettes sur un trottoir, avec les dangers qui en résultent pour autrui, ne leur pose aucun problème, et qu'ils peuvent, sans le moindre scrupule, avoir recours à l'intimidation pour imposer leur volonté aux habitants. Mais à l'évidence, du moins en ce qui concerne le chef de la bande et quelques autres, on est bien au-delà d'une simple transgression alcoolique : comme on l'aura compris, ce groupe est instrumentalisé par ceux qui tirent profit de leur alcoolodépendance et de leur misère psychologique. Le plus étrange est que ces individus, du moins ceux directement impliqués dans l'institutionnalisation des camiontrottoirs, ne semblent pas vivre leur activité comme étant une transgression. L'argument qu'ils présentent, avant d'en arriver à des menaces du genre : "Tu t'écrases ou je t'écrase", est toujours le même : "La mairie le sait". Pareillement, ils dénient à ces camions toute dangerosité ou nuisance. Il est évident que l'attitude permissive des autorités officielles y est pour quelque chose. Mais ces dernières vont justifier, devant la Défenseure des droits, leur passivité par leur ignorance de la situation. Cela est faux, puisque j'ai écrit moi-même, à ce propos, à la maire et au préfet. Mon recours auprès du préfet, en date du 18 mai 2022, n'a jamais eu la moindre réponse, pourtant j'y avais joint des photos rendant clairement compte de la situation. Quant à la municipalité, elle a au moins daigné répondre à mon courrier. Ce qui veut dire aussi qu'elle savait. Si une transgression est possible au vu et su de tous pendant plusieurs années, il y a forcément une défaillance de l'autorité publique. La preuve en est qu'il aura suffi d'une recommandation de la Défenseure des droits pour que la situation redevienne ce qu'elle n'aurait jamais dû cesser d'être. Il est facile de constater que pour une grande majorité d'individus la loi comme obligation n'existe pas en dehors de la sanction qui l'accompagne en cas de transgression. Pour s'en convaincre, il suffit d'observer le comportement des automobilistes à l'approche d'un radar. Obéir pour éviter une punition, ou mériter une récompense, est une attitude profondément infantile. Elle est le produit d'une éducation et d'une instruction débilisantes des masses, basées essentiellement sur l'obéissance. Des citoyens qui ne se posent pas les bonnes questions est bien utile à ceux qui rêvent de pouvoir. À peine né, l'enfant se met aux ordres de ses parents dans l'espoir d'obtenir leur amour et par peur de l'abandon. Puis, adulte, il continuera à obéir à tout Autre qui occupera ces mêmes places, et ce, pour les mêmes raisons. L'instrumentalisation de la loi par ceux qui ont pour mission de la faire appliquer est, aussi, une constatation banale. La loi perd alors sa valeur de lien social pour n'être plus qu'un instrument de pouvoir. Le principe de l'égalité devant la loi se donne à nous pour ce qu'il est : un mythe largement entretenu par l'école et les médias pour faire illusion. Le désaveu de la réalité et la falsification des faits sont les passages nécessaires pour entretenir la fable des principes républicains et démocratiques auxquels les gouvernants sont sans doute les premiers à ne pas croire : ils sont bien placés pour cela. Avant de venir limiter, ou garantir, les libertés individuelles, une loi est, ou plutôt devrait être, une parole qui institue un lien symbolique entre les différents membres d'un même groupe. Son détournement pervers lui fait perdre sa dimension symbolique, et, dès lors, elle n'est plus, pour les uns, qu'un obstacle à franchir, et une arme à dégainer pour les autres. Pour qu'une loi ait un effet pacificateur, il faut qu'elle fasse sens. Elle doit répondre à une nécessité, se révéler utile à tous et conforme à la raison. Quand une norme sociale et son application sont l'expression de l'arbitraire ou des intérêts personnels de ceux qui en ont la charge, elle n'est plus que l'expression d'un "bon plaisir", selon la formule qui marquait la volonté du roi dans les anciens édits, ou un pur exercice de pouvoir sur le modèle du "Chapeau de Gessler". Quant aux individus qui, comme dans l'affaire des camiontrottoirs, peuvent transgresser l'ordre établi sous les yeux de la police sans être inquiétés, ils n'ont même plus conscience de l'illicéité de leurs actes. S'ils ne vivent pas leurs comportements comme étant des transgressions, c'est que pour eux la loi n'est plus que lettre morte. À l'origine de ce meurtre (peut-on parler de lexide ?), nous trouvons la position perverse des figures de l'autorité qui, tout en affirmant l'interdit, autorisent sa transgression, ce qui a évidemment valeur d'encouragement pour des contrevenants qui ont cessé de l'être tout en l'étant. Quel sens peut avoir une norme dont la transgression n'est pas sanctionnée, et ce, non pas de façon exceptionnelle, mais en permanence, alors même qu'une sanction est prévue ? La situation est comparable à celle d'un double discours ayant une valeur d'injonction paradoxale, comme dans l'histoire de ce patient qui était venu m'entretenir des problèmes que lui posait le groupe de parole hebdomadaire que j'animais dans une unité de soins psychiatriques. D'autres malades, les "anciens" du service, lui avaient fait savoir que sa présence à cette réunion était obligatoire. Du coup, il s'était renseigné quant aux sanctions qui l'attendaient s'il refusait d'y participer. Là, il lui a été dit qu'il n'y en avait pas. Cette réponse a progressivement induit chez lui une forte angoisse, non seulement parce que, quand il n'y a pas de sanction prévue, toutes paraissent possibles, et que le pire peut alors être à craindre, mais surtout parce que la situation le mettait face à un énoncé paradoxal lui disant que la participation à ce groupe était obligatoire tout en ne l'étant pas. Ce que ce patient attendait de moi, c'est que je lui confirme qu'une obligation sans sanction n'était pas, et ne pouvait pas être, une obligation. Dans ce genre de situation, il n'est pas possible de se défiler en faisant appel à des distinctions plus ou moins sophistiquées entre présence et participation, ou entre demande et obligation. De telles nuances ne font, en pareille circonstance, qu'amplifier le désarroi du patient. De la même manière, un interdit dont la transgression n'est ni entravée ni sanctionnée va nous paraître étrange. Qu'en serait-il de l'interdit cher à Freud et à ses élèves, je veux parler de l'interdit de l'inceste, si, face à sa transgression, le père détournait le regard ! On sait qu'Œdipe s'est châtié lui-même en se crevant les yeux et que Jocaste s'est pendue. Clairement, avec les camiontrottoirs, c'est un message paradoxal que les autorités ont envoyé aux piliers alcoolisés de la rue Saint-Jacques et à leurs mentors. De là, il ne restait plus aux voyous qu'à recourir à l'intimidation et à la violence pour essayer d'imposer leur volonté, renforcée par l'abus de pouvoir des autorités, aux habitants. Le danger que représente le pervers réside en ce qu'il pervertit ceux qui se laissent prendre à son piège. Là, je pense aux chauffeurs-livreurs incités à transgresser la loi. Quant à leurs employeurs, ils veulent surtout que cela ne se sache pas. La mise en échec de l'État de droit a mené ainsi à une forme collective du désaveu et du clivage. Le haut de la place Saint-Jacques de Lunéville a donc fini par ne plus être un territoire de la République, mais plutôt un microespace totalitaire. Dans la mesure où cela n'a été possible que par l'inaction des autorités officielles, peut-on, dès lors, les considérer comme ayant été complices ? Seule la Justice pourrait le dire, mais apparemment ce n'est pas son problème. Ces situations étant, somme toute, assez répandues, on peut supposer que cet arbitraire dans l'application des lois n'est pas pour rien dans la méfiance des Français à l'égard de leurs institutions. Le détournement de la légalité par des autorités supposées en être les garants ne peut qu' enlever à ces dernières toute crédibilité. Partant de là, il ne restera que le recours à la violence pour pallier la défaillance de leur parole et le délitement du lien social qui ne peut qu'en résulter. Les élus et les fonctionnaires qui détournent leurs fonctions au profit d'intérêts particuliers sèment ainsi les graines d'une révolte permanente dont ils récoltent régulièrement les fruits. La haine du pouvoir est tangible chez de nombreux Français, et trouve sa justification dans une injustice souvent bien réelle, maintenue par un système qui semble immuable. Donc, du côté du gang Saint-Jacques, il n'est pas question d'anarchie ou de révolte, et ses membres n'ont pas le sentiment de transgresser quoi que ce soit. Ils se sont simplement approprié un territoire, et cela n'a été possible que parce que les autorités municipales et celles de l'État les ont laissés faire. Étant attablés du matin au soir devant leurs boissons, ils règnent sur ce qu'ils considèrent comme étant leur royaume, mettant au pas les habitants du quartier. La responsabilité de la situation en revient évidemment d'abord aux autorités et aux notables qui tirent bénéfice de la situation. Le rapport pervers à la loi de ceux qui sont chargés de son application détermine, comme en miroir, le comportement de la canaille. À Lunéville, la politique a été de concentrer un grand nombre de défavorisés, stigmatisés comme "cas sociaux", au centre-ville, alors qu'il n'y a pas d'infrastructure pour les accueillir. D'où, parfois, cette atmosphère de "Cour des Miracles" de la "vieille ville" où les sacs-poubelle s'entassent autour des conteneurs semi-enterrés, avec les mauvaises odeurs, les rats et les chats, pour agrémenter le spectacle. Y ajouter les camiontrottoirs, malgré le danger et la gêne qu'ils représentaient, devait paraître insignifiant aux autorités. La mairie aura, par là-même, apporté sa contribution à l'éclosion de la haine et de la violence dans ce quartier. Lunéville a, dans la région proche, l'image d'une ville où il ne fait pas bon vivre. Je rectifierai en disant : "Où il ne fait plus bon vivre", parce que cela n'a pas toujours été comme ça. On comprend que de nombreuses familles préfèrent s'installer dans les villages voisins, voire à Nancy. La pauvreté à Lunéville, ce n'est pas que le manque d'argent ou le manque d'avenir. C'est aussi la misère morale et culturelle d'une population de laissés-pour-compte de la société libérale, et, comme des aimants, ils attirent leurs semblables. Ainsi cette ville est devenue, pour certains quartiers du moins, l'hôpital général des temps modernes. Il aura fallu quatre ans pour que je me mobilise contre les camiontrottoirs, alors que la dangerosité de leur manœuvre, ainsi que la gêne occasionnée, étaient évidentes dès le début. Mais le fait de vouloir éviter tout conflit m'avait conduit, non pas à l'acceptation, mais à faire avec. Puis, les circonstances m'ont amené à me dire que si le respect de la loi à Lunéville n'était pas mon problème, par contre ma sécurité et celle de mes proches me concernait au premier chef. Cependant, je ne m'imaginais pas que j'allais me retrouver face à des autorités qui, bien que chargées de faire respecter la loi, étaient, de fait, les garants de sa transgression habituelle et continuelle. Le résultat en a été que ceux dont le rôle institutionnel est de faire barrage à la délinquance ont fini par l'encourager. L'indifférence de la Maire et du Préfet, sollicités face à cette situation, ne m'a pas découragé. Le harcèlement et les stratégies d'intimidation de l'agglutinât alcoolisé de la Place Saint-Jacques n'ont pas réussi à me faire céder. Ce qui en dit long, c'est que ce gang qui faisait la loi dans le quartier, et qui la fait un peu moins maintenant, ait pu pratiquer le harcèlement de rue en toute impunité. Mais cela semble être un mode de vie et une organisation des pouvoirs que l’on peut retrouver dans de nombreux quartiers à travers tout le pays. Confronté au harcèlement et aux menaces des uns, ainsi qu'au je-m'en-foutisme des autres, je me suis mis à photographier et à filmer les camiontrottoirs, d'abord pour m'en servir dans le but de démarcher les entreprises de transport concernées, puis pour faire connaître la situation aux habitants du coin. Évidemment, cela n'a fait que rendre ma situation plus difficile. Me faisant encore quelques illusions, j'ai déposé deux mains courantes et une plainte pour agression. J'ai pu constater alors, qu'à Lunéville, insultes homophobes, propos racistes et menaces de mort sont considérés comme étant des problèmes de voisinage, comme, il y a quelques années, les affrontements, dans cette même rue, entre des groupes d'individus fortement alcoolisés, les uns venant de la place Saint-Rémy, les autres de la place Saint-Jacques. La seule chose qui semble importer aux autorités, c'est de consolider le côté "village Potemkine" de la ville, avec sa version d'un "Lunéville, havre de paix au milieu d'un poumon vert", slogan médiatisé par les journaux régionaux. Le plus révélateur de cette histoire reste, évidemment, l'attitude de la municipalité qui n'a pris aucune mesure pour mettre un terme au détournement du trottoir en chaussée. Si, ces derniers temps, je n'ai pas vu de camiontrottoir, cela est sans doute le résultat de l'intervention de la Défenseure des droits à laquelle j'ai fait appel compte tenu de la défaillance de la mairie et de la préfecture. Mais cette paix, toute relative, risque d'être de courte durée dans la mesure où aucun obstacle matériel n'a été mis en place pour s'opposer à un éventuel retour des camiontrottoirs. Alors que, depuis juillet 2021, je demandais à la mairie de Lunéville de prendre des mesures pour mettre un terme à la ronde de ces camionnettes, j'ai reçu, en mars 2023, un courrier de la Défenseure des droits. Cette Autorité m'écrit :" Vous avez saisi le Défenseur des droits d’une réclamation relative à la circulation et au stationnement de camions de livraison sur le trottoir de la rue de la place Saint-Jacques à Lunéville. J’ai saisi la commune de Lunéville de vos difficultés. Cette dernière m’a indiqué que l’implantation des potelets anti-stationnement en bordure de trottoir rendait toute manœuvre de stationnement très difficile, voire impossible, et qu’aucun stationnement n’avait été constaté au niveau de votre propriété." J'ai dû m'y reprendre à plusieurs fois pour saisir toute la subtilité, ou plutôt la perfidie, de la réponse de la municipalité à la Défenseure des droits. Alors que la municipalité est parfaitement informée de faits qui ont perduré plusieurs années, et qui, plus est, concernent un trottoir jouxtant la mairie, mais ne pouvant nier les faits, ce qui serait mentir à une autorité constitutionnelle, elle a fait une réponse pleine de sous-entendus en affirmant la difficulté, voire la quasi-impossibilité, pour des véhicules de livraison, d'emprunter le trottoir à cause des poteaux antistationnement. L'objectif de tels propos est évidemment de jeter le doute sur la véracité de mes affirmations, sans cependant oser me traiter directement de menteur. Quant à ne pas avoir constaté les faits, il ne tenait qu'à la mairie d'en faire le constat ou d'interroger la police municipale qui s'est entretenue avec un des chauffeurs le 13 juillet 2021 alors qu'il quittait les lieux. Mais il est effectivement difficile de constater quoi que ce soit quand on a décidé de fermer les yeux sur l'institutionnalisation d'une transgression de la loi à quelques mètres de son bureau. Qu'importe, nous sommes nombreux, à savoir ce qu'il en est de la réalité. Mais qui ose encore la dire ? La réponse de la mairie à la Défenseure des droits m'a replongé à l'époque des films de cowboys avec des "peaux rouges" disant de l'homme blanc qu'il avait la langue fourchue. Avoir la langue fourchue a habituellement le sens de mentir, mais à mon avis cela va bien plus loin. Il y a évidemment la référence au serpent du péché originel pour lequel dieu a condamné l'humanité à la vie terrestre. Mais, la langue bifide du serpent, c'est aussi la parole perfide de celui qui dit une chose sans la dire dans le but de semer le doute et la confusion, autrement dit le chaos. L'image de la langue fendue évoque le clivage du moi tel qu'on le trouve chez le pervers, associé au désaveu de la différence. On a alors la vérité du travesti ou celle du fétichiste, au service de la fabrique du doute. Toujours est-il que la Défenseure des droits n'a pas été dupe. Sa lettre continue : "Cependant, dans la mesure où vous avez indiqué à mes services que, malgré l’installation de poteaux anti-stationnement sur le trottoir côté pair de la rue place Saint-Jacques et l’aménagement d’une place de livraison sur le trottoir d’en face, des camions persistaient à manœuvrer, stationner, voire circuler sur ce trottoir, j’ai invité la commune à veiller à l’avenir à l’absence de stationnements gênants sur ce trottoir et à prendre toute mesure de nature à faire cesser cette atteinte à la sécurité et à la tranquillité publiques en vertu de ses pouvoirs de police." Il est vrai que j'avais joint à ma requête la vidéo d'une camionnette de livraison roulant sur le trottoir entre poteaux antistationnement et maisons, ainsi que les courriers échangés avec la mairie à ce sujet. Mais à l'époque, je ne m'imaginais pas que celle-ci irait jusqu'à remettre en cause des faits dont j'avais informé la maire le 15 juillet 2021 dans un courrier, après avoir constaté l'impuissance de la police municipale que j'avais interpellée le 13 juillet, et qui n'a pu que constater les faits. Mais, comme le surlendemain le chauffeur a récidivé, j’ai écrit à la municipalité et téléphoné à la société de transport concernée. Le responsable de ladite société a été compréhensif, et le quartier a pu bénéficier d'un bref répit. Puis d'autres chauffeurs et d'autres compagnies de transports sont intervenus sur le site, et le même scénario s'est répété avec les mêmes "pousse au crime".
Prendre des photos va se révéler dangereux parce qu’elles permettent d’apporter la preuve d'une réalité que les autorités et les voyous veulent cacher à tout prix. À une époque où mon état de santé ne me permettait pas de me mouvoir facilement, j'ai été agressé par le chauffeur-livreur d'une compagnie de transport régionale bien connue. Pour finir, j'ai été soigné aux urgences de l'hôpital, alors que mon agresseur semble ne pas avoir été inquiété le moins du monde. Le sera-t-il d'ailleurs un jour ? Actuellement j'en doute. Pourtant, son identité est facile à établir, sachant que l'agression a eu lieu le jeudi 12 mai 2022 vers 13 h 15 par le chauffeur d'une société faisant sa livraison au Petit Trianon. Dans la rubrique "ni vu ni pris ", une autre société de transport m'a demandé de flouter des photos publiées sur la page locale d'un réseau social : comme je m'étais contenté de masquer la plaque d'immatriculation de la camionnette en question, la société restait identifiable par son sigle. J'ai donc occulté ce dernier. Pour la plupart de mes concitoyens, la réponse faite par la municipalité à la Défenseure des droits est sans surprise. En effet, comment une commune pourrait-elle reconnaître devant une Haute Autorité de l'État qu'elle a laissé transgresser des années durant une loi dont elle est chargée d'assurer l'application. Nombreux sont ceux qui considèrent que mentir, tricher, abuser, désinformer, détourner, instrumentaliser, manipuler, angoisser, culpabiliser, et quelques autres, constituent la norme actuelle en politique. Cela a sans doute toujours été ainsi. Tout semble permis pour accéder au pouvoir comme pour maximiser le profit. Les deux vont d'ailleurs souvent de pair. Mais la situation est peut-être moins catastrophique qu'il n'y paraît puisqu'il existe encore quelques contre-pouvoirs, comme le Défenseur des droits, pour se préoccuper du sort des Français mis à mal par les dérives des autorités publiques. L'histoire des camiontrottoirs, pour risible qu'elle puisse paraître, ne nous instruit pas moins de l'organisation réelle des pouvoirs. De là, la perplexité de nombreux citoyens face à la loi, alors que d'autres ont déjà conclu qu'elle est faite pour être transgressée. Des arrangements en marge de la légalité, voire franchement illicites, entre agents économiques, élus et représentants de l'État, non rien d'inhabituels. En creusant un peu, il doit être possible d'en trouver plus ou moins partout dans tous les pays du monde. L'originalité, ou l'archaïsme, de Lunéville, c'est que là où les bénéficiaires de ces arrangements ne peuvent pas envoyer les forces de l'ordre pour imposer aux riverains un mode de fonctionnement illégal, ils font appel à une bande de voyous, ce qui est, paradoxalement, une bonne nouvelle. Mais il serait temps que les Français se rendent compte des limites de la protection que leur assure l'État et qu'ils s'organisent en conséquence. L'expérience des camiontrottoirs de Lunéville nous en apprend aussi sur certaines techniques utilisées pour diminuer les statistiques de la délinquance. Le premier truc des représentants de l'État est de présenter les insultes (homophobes, racistes), les menaces et le harcèlement comme étant des problèmes de voisinage. Ce qui n'est jamais faux, et l'on peut tout réduire à un problème de voisinage, y compris la guerre actuelle en Ukraine. Une seconde technique est de ne pas faciliter pour la victime d'une agression, et incapable de se déplacer par elle-même, l'accès à la consultation du médecin légiste pour établir une ITT. Puis, évidemment, ne pas relever les indices permettant d'identifier l'agresseur : par exemple, comme dans l'agression par le chauffeur livreur des camiontrottoirs, ne pas relever les empreintes digitales sur le smartphone détruit et, pour finir, ne pas transmettre la plainte au Procureur. Quant à ce dernier, il peut parfaitement classer la plainte sans suite ou en faire on ne sait trop quoi, compte tenu de l'opacité de la procédure. Quant à l'avocat de la protection juridique, il se contente de répondre qu'il ne peut rien entreprendre aussi longtemps que le Procureur n'a pas statué.
Peu de changements donc depuis que Jean de La Fontaine nous a mis en garde : "Selon que vous serez puissant ou misérable, les jugements de la République vous rendront blanc ou noir." La société ne rend guère justice aux victimes, et les tribunaux se contentent d'être au service de l'ordre public. Mais ce dernier cache, parfois mal, la toute-puissance d'un État mis au service d'intérêts particuliers, réalité qui vide de tout sens la notion même d'État de droit en détournant les institutions de leur fonction sociale pour les mettre au service du pouvoir de ceux qui en tirent avantage à l'ombre d'une idéologie qui n'est que la rationalisation de la recherche du profit maximum, "quoi qu'il en coûte" en perte d'humanitude.
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