Le Devoir - samedi, 30 octobre 1993

 

Disques classiques

 

En guise de prélude au Festival international de Piano

Ce soir, à la salle Pierre-Mercure, le Festival international de piano de Montréal lance la programmation de sa cinquième édition par un récital des pianistes Hélène Mercier et Louis Lortie

 

 


Carol Bergeron

 

Louis Lortie et Hélène Mercier (piano)

Mozart, «Sonate» K.448 pour deux pianos, «Andante mit variationen» K. 501 pour piano à 4 mains; Schubert, «Fantaisie» K.940 (op.103) pour piano à 4 mains. Chandos 9162.

 

Boris Berezovsky (piano)

 Schumann, «Davidsbündlertänze» op.6, «Sonate» no.2 op.22, «Toccata» op.7.

Teldec, 9031-77467-2.

 

Leif ove Andsnes (piano)

Grieg, «Sonate» op.7, «Images poétiques» op.3 no.4, 5 et 6, «Feuilles d'album» op.28 no.1 et 4, «Pièces lyriques» 3e cahier op.43 (6 pièces), 5e cahier op.54 (6 pièces). Virgin CDC 7 59300-2.

 

C'est   ce  soir,   à   la   salle   Pierre-Mercure, par un récital des pianistes Hélène Mercier et Louis Lortie, que le Festival international de Piano de Montréal franchira le fil de départ de sa cinquième programmation – une programmation plutôt modeste, si l'on considère qu'aucune vedette internationale du clavier n'y participera. Les trois volets qui la composent - les classes d'interprétation, les cinq mini-récitals de la Chapelle historique du Bon-Pasteur (de 12h à 13h) et les 7 récitals, «série internationale», de la salle Pierre-Mercure (du 30 octobre au 6 novembre) - feront largement place aux pianistes québécois; ce qui ne signifie pas pour autant que le niveau en souffrira ou que l'intérêt en sera moindre, si l'on songe aux Louis Lortie, Marc-André Hamelin, Dang Thai Son, Louise Bessette et Hélène Mercier qui défendront nos couleurs. Ils feront l'affiche de la prestigieuse «série internationale» qui n'accueillera que trois interprètes de l'étranger: l'Italienne Maria Tipo (le 6 novembre), le Norvégien Leif ove Andsnes (le 4 novembre) et le Russe Boris Berezovsky (le 2 novembre).

 

Sans doute convient-il de rappeler que tous ces solistes sont déjà actifs dans le secteur de l'enregistrement: le duo Lortie-Mercier, chez Chandos, Dang Thai Son, chez Victor (Japon) et Analekta (Québec), Marc-André Hamelin, notamment chez Music and Arts, Musica Viva, New World Records et Doberman-Yppan, Boris Berezovsky, chez Teldec, Leif ove Andsnes, chez Virgin et Bis, Louise Bessette, chez SNE et Doberman- Yppan,  et  Maria  Tipo,  chez  EMI. Mentionnons encore que parmi ceux qui se produiront à la Chapelle historique du Bon-Pasteur, Jacques Saint-Jean publie chez Atma et les pianistes-duettistes Josée et Martin Caron, chez SNE.

 

Après avoir gravé un programme Ravel, qui se greffait à l'intégrale pour piano seul réalisée par Louis Lortie, le duo Lortie-Mercier se manifeste à nouveau dans un répertoire plus ancien, plus classique puisqu'il va puiser principalement chez Mozart avant d'aborder Schubert. Ne travaillant pourtant qu'en fonction de projets occasionnels, ce duo baigne dans une entente tout à fait harmonieuse. Ce disque montre en effet que les partenaires partagent la même approche instrumentale. La même agréable perfection qui renvoie à ce pianistique plaisir de traduire la musique de la même façon. Du beau piano d'abord et avant tout, un divertissement essentiellement esthétique, qui pousse même jusqu'au maniérisme - on le voit dans les Variations K.501 où le texte (notamment dans la seconde variation, sixième mesure) aurait profité d'une plus grande rigueur d'élocution - et qui ne va jamais au-delà des apparences. Inutile d'y chercher ce sentiment de fragilité humaine, cette proximité des abysses de l'être, comme chez Murray Perahia et Radu Lupu qui ont osé traverser le miroir de la même Sonate K.448 et surtout de la même Fantaisie D.940

(CBS MK 39511).

 

De Leif ove Andsnes, ce jeune prodige norvégien de 23 ans, nous avons déjà parlé d'une superbe lecture des trois Sonates de Chopin (Virgin VCK 7 91501-2). Il y a chez ce musicien toute la matière nécessaire à la confection d'une carrière marquante; quand la relève atteint ce niveau d'excellence, il n'y a pas à craindre de l'avenir. Non seulement est-il déjà un instrumentiste accompli- ce qui, de nos jours de pléthore pianistique, ne le distinguerait point de la masse - mais encore est-il déjà capable d'imposer sa présence même à travers un enregistrement. À travers son jeu, on perçoit une pensée musicale souverainement agissante; la Sonate op.7 de d'Edvard Grieg en donne une magistrale démonstration, et cela, en dépit des faiblesses relatives de l'œuvre. Ce laser contient également plusieurs pages de genre du même auteur, parmi lesquelles on remarque la Feuille d'album op.28 no. 4 qu'Andsnes a inscrite à son récital montréalais. Son interprétation de Grieg en réconciliera plus d'un avec cette musique.

 

Né à Moscou en 1969, Boris Berezovsky a remporté, en 1990, le premier prix du grand Concours international Tchaïkovski. Cela le situe déjà parmi ces monstres du clavier qui n'éprouvent aucun mal à traverser victorieusement les pires embûches techniques. Nous sommes ici en présence d'une véritable machine «clavivore». Impossible d'ailleurs de le prendre en défaut sur ce point. Son disque Schumann semble à cet égard sculpté dans le roc. Cela dit, Berezovsky sait également se montrer sensible quand la musique le réclame, ce qui l'amène à souligner, toujours avec force cependant, tous les contrastes dont Schumann est friand.